Plusieurs voiliers qui suivent le même chemin que nous à travers les îles du Pacifique vers Tahiti ont eu une réflexion identique à la notre : le dépaysement est ici bien plus grand qu'en Amérique centrale et latine, nous entrons dans un espace naturel et culturel unique au monde.
- Espace naturel unique car les paysages et la nature sauvage sont encore intacts et peu modifiés par l'homme dans la majorité des archipels de la Polynésie Française.
- Espace culturel unique car dès notre arrivée, la culture Polynésienne, et plus particulièrement celle des îles Marquises, nous saute aux yeux et aux oreilles : la langue (une véritable langue et non pas un salmigondis franco-créole à la mode antillaise), les traditions et coutumes, les croyances, les vestiges archéologiques, le mode de vie, l'art sous toutes ses formes (danse, sculpture, musique et peinture).
Pour mieux comprendre les raisons de ce choc bien agréable il est utile de se pencher un peu sur le passé de ce très vaste territoire français si mal connu de notre part et dont nous avons une image d'Épinal bien éloignée de la réalité.
La Polynésie française s'inscrit plus largement dans ce que nomment les géographes le Triangle Polynésien [Nouvelle Zélande – Hawai – Île de Pâques]. Elle comporte 118 îles (4000 km²) organisées en cinq archipels dispersés sur une vaste surface d'océan (Zone économique exclusive de 4.750.000 km²).
A l'ouest, l'archipel de la Société (atolls et îles hautes) comprend les îles du Vent et les îles Sous-le-Vent. À 180 milles au nord-est de Tahiti, l'archipel des Tuamotu, constitué de 77 atolls , est prolongé par celui des Gambier (atolls et îles hautes) le long d'un axe nord-ouest sud-est sur plus de 800 milles. Enfin au nord des Tuamotu se trouve l'archipel des Marquises (îles hautes sans atolls) à près de 750 milles de Tahiti.
Tous les archipels de la Polynésie française sont d'origine volcanique, mais il n'y pas d'activité volcanique terrestre récente, seulement quelques volcans sous-marins aux éruptions fréquentes, les futures îles de demain.
Les îles hautes sont formées de montagnes basaltiques creusées de profondes vallées par l'érosion. Les vallées sont fertiles, la végétation variée et luxuriante. Si elles sont assez hautes, elles ont un versant humide au vent et un versant plus sec sous le vent des alizés d'est, sinon elles sont plus arides.
Les atolls sont d'origine corallienne, le sol calcaire saturé de sel comporte exclusivement des débris coralliens arrachés au récif et accumulés en îlots appelés « motu ». Privés de rivières et de lacs, les atolls ont souvent des nappes souterraines dues à l'infiltration des eaux de pluie. Couronne corallienne affleurante sur laquelle sont disséminés des motu (3 ou 4 m au dessus de l'eau) les atolls ne retiennent pas les nuages et sont soumis aux caprices et au déchainement de l'océan lors des cyclones.
L'origine du peuplement du grand Triangle Polynésien ne fait toujours pas l'unanimité chez les ethnologues. Les deux principales théories soutiennent l'une l'origine sud-américaine (expédition du Kon Tiki en 1947), l'autre l'origine asiatique. A ce jour, cette dernière hypothèse tient la corde. Le peuplement du Pacifique sud se serait effectué par l'ouest à travers de vastes étendues océaniques sur de longues pirogues doubles, emportant avec eux vivres et animaux vivants et qu'ils ont atteint les îles de proche en proche, y faisant souche.
Notre découverte de la Polynésie française débute par l'archipel des Marquises situé à 3000 milles des Galapagos. Les îles situées à la limite des eaux équatoriales à 1.400 km de Tahiti sont les premières à être découvertes de toute la Polynésie. Le navigateur espagnol Alvaro Mendana de Neira y débarqua en 1595. Plus tard Bougainville en 1768 ne s'arrêta pas, mais Cook en 1774 redécouvre l'archipel, il faut attendre 1791 pour que le navigateur Etienne Marchand prenne possession des îles du groupe nord (Nuku-Hiva, Ua-Pou et Ua-Huka) mais sans une occupation permanente. Dès 1820 les évangélisateurs protestants et catholiques trouvent là une nouvelle terre de mission, ces derniers eurent le dessus, les Marquisiens sont majoritairement catholiques au contraire de l'archipel de la Société. Les Marquises sont définitivement françaises en 1842 sous Louis-Philippe avec l'amiral Dupetit-Thouars.
Ces îles bien connues des baleiniers faisaient l'objet d'un véritable pillage des ressources naturelles depuis très longtemps. Pendant ce demi-siècle de contact avec les Européens, la population des Marquises fragilisée par les maladies, décimée par les guerres tribales, en proie au fléau de l'alcool frelaté qui servait de monnaie d'échange aux baleiniers diminuait dramatiquement. De 60.000 au début du XIX° siècle, elle tombe à environ 2-3.000 âmes au début du XX° siècle avant de remonter aujourd'hui à près de 10.000 habitants pour toutes les îles des Marquises.
Blocs de lave surgis au milieu du Pacifique, ces îles hautes ont un profil tourmenté, résultat de l'érosion marine et éolienne. Aiguilles et pics culminant à plus de 1000 m côtoient de hauts plateaux qu'interrompent d'abruptes falaises et dominent de profondes vallées où se nichent de rares localités.
Les Marquises, appelées localement « Henua Enana » (« Terre des Hommes ») sont le premier lieu d'installation des Polynésiens lors des grandes migrations océaniques dans le Pacifique sud au tout début de notre ère, voire juste avant. Terres de légendes, ces îles abondent en vestiges archéologiques. Mais revenons au périple de Ramatoa dans cet archipel.
Fatu-Hiva est la première île que nous touchons à l'issue de notre traversée. Lundi 25 mai au petit matin, nous atterrissons dans la mythique baie des vierges, c'est une image inoubliable et spectaculaire. La population de 650 habitants se regroupe dans deux villages sur la cote ouest : Hanavave au fond de la baie des vierges et Omoa un peu plus au sud. Du mouillage nous visiterons le calme village enchâssé au pied des colonnes basaltiques qui le surplombent. Il y a une bonne douzaine de voiliers au mouillage qui s'avère de mauvaise tenue. Nous y restons que deux jours en toute illégalité car il nous faut effectuer notre entrée officielle à la Gendarmerie d'Atuona sur l'île d'Hiva-Oa et Berny doit également modifier son plan de vol retour vers Paris à partir d'Hiva-Oa et non pas de Nuku-Hiva comme prévu initialement. Promenades dans le village, discussions avec les Marquisiens, repas traditionnel chez l'habitant... bref la découverte de la douceur de vivre dans ce coin de paradis terrestre. Le mercredi 27 mai nous mettons les voiles et franchissons les 45 milles qui nous séparent de Hiva-Oa que nous atteignons dans l'après-midi.
Hiva-Oa est la principale île du groupe des îles du sud (Fatu-Hiva, Hiva-Oa, Tahuata). Jeudi 28 de très bonne heure nous sommes réveillés par l'arrivée très bruyante de l'Aranui 3, le cargo mixte de 110 m qui approvisionne les îles toutes les deux à trois semaines depuis Tahiti, la place est très restreinte avec les nombreux voiliers au mouillage et la manœuvre est délicate et précise. La bourgade principale est Atuona à 4 km (parcourus en stop) où nous trouvons des commerces, des fruits et des légumes, une banque et la poste. Il y a même une connexion WiFi depuis le petit port d'Atuona dans la baie de Tahauku. Berny, de son coté arrive non sans quelques difficultés à négocier un passage sur Air Tahiti entre Hiva-Oa et Nuku-Hiva le mardi 2 juin. Visites des centres culturels consacrés à Paul Gauguin et à Jacques Brel qui sont modestes mais très bien entretenus et attrayants. De très nombreuses reproductions de tableaux du peintre et le fameux « Jojo » avion bimoteur du chanteur sont les pièces maîtresses de ces deux lieux. Naturellement nous sommes montés au petit cimetière, qui domine Atuona avec une vue superbe sur la baie des Taaoa, pour y découvrir les tombes de ces deux artistes qui reposent à quelques mètres l'un de l'autre.
Nous réservons un 4x4 de location pour le lundi de Pentecôte pour aller faire une excursion dans l'intérieur de l'île. Vendredi matin : formalités d'entrée en Polynésie française effectuées à la Gendarmerie d'Atuona. Nous levons l'ancre dans la foulée pour aller passer le week-end sur l'île voisine à Tahuata. Traversée du canal du Bordelais qui sépare ces deux île et nous voilà déjà arrivé devant trois petites baies d'Hanamoenoa avec des plages de sable blanc, l'eau est claire, le mouillage bien plus calme que celui d'Atuona.
Dimanche 31 mai après-midi nous retournons mouiller dans le petit port d'Atuona. Lundi matin, récupération du 4x4 et en route pour la visite tout d'abord au hameau de Taaoa à 7 km au sud-ouest d'Atuona où nous découvrons une jolie petite église puis en remontant la vallée un site archéologique, le « Tohua Upeke », partiellement restauré avec de très nombreuses plates-formes religieuses et de sacrifices : les « maerae », qui s'étagent sur plusieurs niveaux. Ensuite nous mettons le cap vers Puamau sur la côte nord-est de l'île, la route est goudronnée jusqu'à l'aéroport puis c'est une piste de montagne escarpée qui monte jusqu'au col à 1000 m puis redescend vers la cote nord et longe tous les promontoires. Le temps est splendide, les sommets sont dégagés, la vue superbe, les a pics impressionnants. En fin de matinée nous arrivons au petit bourg de Puamau et visitons le site archéologique de Lipona, probablement le plus ancien des Marquises. Il représente un sanctuaire religieux organisé en deux terrasses avec cinq « Tikis », statues monumentales en tuf gris. Enfin à midi, déjeuner typiquement marquisien chez Marie-Antoinette, sur la route du retour nous achèterons de fruits (régime de bananes et pamplemousses) chez un dénommé O'Connor descendant lointain d'un marin irlandais qui s'était établi dans le pacifique sud. Le soir Berny nous invite à diner à une fort bonne table avec vue superbe sur la baie de Tahauku et la ville d'Atuona. Mardi matin, il prend son avion et débute son long retour vers la métropole.
Nous restons quelques jours à Atuona, puis repartons à Tahuata pour aller mouiller dans la baie des dauphins à Hanatafau, en fait il s'agit d'une baie où les dauphins aiment venir se reposer et dormir, on en voit toujours une bonne dizaine. A terre nous débarquons et visitons le petit village d'Hapatoni qui abrite quelques dizaine de familles. Le temps s'est arrêté, la baie est splendide et assez bien abritée, nous y restons deux jours. Samedi et Dimanche, nous retournons à Hanamoenoa et retrouvons Laurent sur Balaë. Tahuata est la plus petite île habitée de l'archipel avec seulement 650 habitants dans les deux villages de Vaitahu et d'Hapatoni. La baie de Vaitahu fut le théâtre d'épisodes marquants le destin des Marquises : - les navigateurs Mendana en 1595, Cook en 1774 puis Étienne Marchand en 1791 y mouillèrent. - Les missionnaires y prirent pied en 1797 puis 1838 et firent de Vaitahu la tête de pont de l'évangélisation aux Marquises. - En 1842, l'amiral Dupetit-Thouars fit signer le traité de rattachement des Marquises à la France au chef coutumier Iotete.
Lundi 8 juin avant l'aube nous quittons la baie d' Hanamoenoa et gagnons 65 milles plus au nord-ouest le petite île d'Ua-Pou. Située à une vingtaine de milles au sud de Nuku-Hiva elle appartient au groupe des îles du nord, elle présente un relief tout a fait original avec 12 « necks », des colonnes basaltiques géantes qui lui donne un profil de château des mille et une nuits ! Ua-Pou se distingue sur le plan culturel et artistique, elle est le berceau du renouveau artistique marquisien. Si sur ce plan Ua-Pou se révèle être très dynamique avec ses groupes de danseurs et de chanteurs, ses sculpteurs sur bois et sur pierre, il n'en va pas de même sur le plan du tourisme ou l'île est plongée dans une léthargie à l'ombre de sa montagne dont les pics culminent à 1200 m. Seul le passage de l'Aranui 3 et de sa trentaine de touristes anime la petite ville d'Hakahau toutes les trois semaines. Nous mouillons devant Hakahau relativement protégé de la houle qui rentre un peu dans la baie. Nous y retrouvons un bateau Helvétique « Kopernik » de Georges & Eva. Balades à terre, palabres avec les habitants qui sont très heureux d'être abordés par les voileux de passage. En quelques instants et après avoir noué des contacts sur le quai avec les femmes de pêcheurs, Ramatoa hérite de 20 à 25 kg de fruits frais : des pamplemousses, des mangues, des goyaves, des citrons et des oranges, sans oublier un beau fruit de l'arbre à pain. Dominique fait des compotes et des conserves. Nous allons à la kermesse du collège, avec des danses des élèves et un repas authentique préparé dans le four marquisien. Nous assistons aux préparatifs de la communauté pour recevoir le haut commissaire de la République Française qui vient à Ua-Pou ce week-end. Samedi 13 juin nous faisons un saut de puce de 5 à 6 milles pour rejoindre le village voisin dans la baie d'à coté. Il s'agit d'Hakatehau, l'ancienne capitale de l'île, bien endormie aujourd'hui, promenades dans les rues et chemins qui sentent bon le tiare, discussions et achat d'un flacon de Monoï produit localement et parfumé au jasmin de l'île.
Dimanche 14 juin, nous traversons le bras de mer, 25 milles, qui nous sépare de Nuku-Hiva et mouillons dans un site exceptionnel et désert au pied des murailles rocheuses sur un lac intérieur d'où la mer n'est pas visible, le cirque montagneux est tellement escarpé que nous sommes à l'ombre dès 15 heures et ne voyons pas le soleil avant 9 heures. Il s'agit de la baie d'Hakatea, invisible du large, à 5-6 milles à l'ouest de la capitale Taiohae. Nous sommes un petite dizaine de voiliers au mouillage, mais le calme est absolu.
Lundi 15 juin matin, nous faisons route vers la capitale des Marquises « Taiohae ». Nuku-Hiva est la plus vaste et la plus peuplée des îles de l'archipel des Marquises. Nous avons tous les deux rendez-vous avec le dentiste, des appros à faire car la cambuse regorge de fruits frais mais plus de viandes ni de légumes. Taiohe est une petite bourgade de 2000 habitants au pied d'un cirque montagneux et allongée en arc de cercle le long d'un vaste baie. C'est moins coquet et moins soigné que sa jumelle Atuona sur l'île d'Hiva-Oa. Les commerces sont éloignés et très dispersés, sans compter le dentiste et la pharmacie qui sont à l'opposé du débarcadère à une bonne ½ heure de marche à pied ! Ce matin le cargo mixte « Aranui 3 » est venu à quai pour quelques heures d'escale, les rayons des épiceries vont se remplir. Le temps est gris et il pleut abondamment, surtout la nuit... bref nous sommes maussades, comme le temps, et avons envie de lever l'ancre pour aller vers d'autres mouillages.
Vendredi 19 juin, nous rejoignons le mouillage d'Anaho sur la côte nord de Nuku-Hiva, la mer est un peu agitée, le vent faible et dans le nez, nous parcourons les 21 milles au moteur, cela tombe bien il nous fallait faire de la charge. A l'arrivée, en début d'après-midi nous découvrons un mouillage de toute beauté en bordure du seul platin corallien des Marquises. Nous sommes 6 voiliers à l'ancre et retrouvons Laurent sur « Balaë ». Le lendemain nous nous rendons à pied au village voisin de Hatiheu qui donne sur la baie voisine. Une bonne heure de randonnée sur un chemin muletier et 280 mètres de dénivellé.... mais la vue sur les baies est absolument magnifique. Au retour dans la cocoteraie d'Anaho nous discutons avec Adrienne et son frère Léo, ils nous parlent de leurs vies ici aux Marquises. Il nous offre un régime de bananes et nous emmenons pour lui du matériel à Taiohae. Snorkeling sur le corail en fleur, avec les tortues et les raies mantas et pastenagues.
L'alizé souffle très frais à 25-30 nœuds pendant 3-4 jours, ce n'est que le samedi 27 juin que nous faisons le trajet retour vers Taiohae. Nous reprenons notre place au mouillage devant la maison du gouverneur. Avitaillement : vivres, boissons, gasoil et essence. Prévisions météo sur Internet, mise en ligne de l'article et nous voilà prêts à partir.
Mercredi ou jeudi nous mettrons les voiles pour rejoindre notre premier atoll des Tuamotu, une nouvelle aventure commence. Nous quittons avec regret les îles Marquises - Nous y avons vu des sites splendides et remarquables - Nous avons un peu découvert l'âme des polynésiens, : la culture, la langue, les traditions et les coutumes – Nous avons admiré l'artisanat marquisien – Mais par dessus tout nous avons apprécié la gentillesse extrême des Marquisiens sous des aspects parfois un peu rudes, nous avons aimé cette douceur de vivre où le temps et le monde moderne ont bien peu de prise. Depuis notre départ de France métropolitaine, il n'y a pas de doute l'archipel des Marquises grimpe très haut dans le « Top Ten » des plus belles escales de Ramatoa. Nous comprenons que certains voiliers programment une année entre les îles Gambier et les Marquises.
Nous ne savons pas quand nous aurons de nouveau une connexion internet, il n'y aura peut-être pas de nouvel article avant la fin du mois de juillet.... il vous faudra un peu de patience.... mais pour nous le temps ne compte déjà plus, nous sommes devenus un petit peu Marquisiens !
Ne manquez pas d'aller consulter toutes les photos que nous avons glissés pour vous dans l'album des « îles Marquises ».
Benoît & Dominique sur Ramatoa à Taiohae le 28 juin 2009.