Dimanche 1° mars matin le menuisier vient mettre une dernière couche de vernis sur la façade de la cuisine après reconstruction de l'isolation du frigo. Il met donc un point final à tous nos travaux à la marina du Bas du Fort à Pointe à Pitre. Nous sommes donc prêt à appareiller pour traverser la mer des Caraïbes vers Panama ou plus exactement la ville de Colon (également nommée Cristobal), poumon économique et commercial de la République du Panama.
Dimanche soir nous mouillons pour une dernière fois à l'îlet Gosier et nous levons l'ancre le lundi 2 mars dans la matinée pour parcourir les 1200 milles nautiques qui nous sépare de Panama. La météo est bonne pour les deux ou trois premiers jours avec des vents faibles à modérés qui devraient se renforcer sur la deuxième moitié du parcours. Nous quittons la Guadeloupe par le canal des Saintes.
Les deux premiers jours de la traversée sont paisibles avec des vents très modérés et une mer belle, nous ferons même quelques heures de moteur la deuxième nuit. Nous parcourons 133 milles nautiques le premier jour et seulement 119 le second. Nous passons à proximité de l'Isla Aves, petit cailloux bétonné occupé par les militaires Vénézueliens. Nous avançons tranquillement voiles en ciseaux, génois tangonné.
Isabelle & Joseph sur OpSIS font route également convergente vers Panama en partant de l'île de Ste Croix aux Îles Vierges Américaines. Tous les matins la vacation BLU permet de discuter avec OpSIS mais aussi les bateaux copains laissés sur l'arc des Caraïbes. A la vacation du jeudi matin, OpSIS, positionné quelques 90 milles plus au nord que nous, rencontre des conditions difficiles avec des vents assez forts mais surtout une très grosse houle qui grossit d'heures en heures. La météo annonce effectivement pour les jours à venir un renforcement de vents à 25-30 nœuds et l'arrivée d'une houle de 4 à 5 mètres par le nord. Pour nous c'est encore un temps très agréable mais un ciel voilé.
Le jeudi 5 mars en fin d'après-midi le vent se renforce, nous réduisons progressivement la toile et dans la nuit nous nous retrouvons avec trois ris dans la grand-voile et 3 ris dans le génois tangonné. Le vent souffle de l'est nord-est à 25-30 nœuds avec des rafales à 35-40 nœuds, la mer est grosse avec des creux de 4 mètres dans une houle de nord-est. Ramatoa prend la mer sur l'arrière tribord, le pilote travaille beaucoup mais tout se passe très bien.
Vendredi matin, la météo de Curacao nous annonce un avis de coup de vent pour la zone où nous nous dirigeons. Par la BLU Pierre & Béatrice qui sont à Saint Francois en Guadeloupe nous confirme l'arrivée du gros temps qui devrait nous accompagner jusqu'à l'arrivée.
La vie à bord est fatigante car le bateau se prend pour un shaker. Mais l'équipage surmonte très bien ces premières 24 heures de mauvais temps et se prépare à durer car cela n'est pas fini, il y a encore quatre jours de route.
Dans la nuit du vendredi au samedi, la mer grossit encore, les creux sont proches de 5 mètres, le spectacle est grandiose et inquiétant sous la lune pleine. Le grondement des déferlantes est incessant. Hercules, le pilote fait des merveilles, il barre depuis le départ avec voiles en ciseaux plein vent arrière, dans des conditions ou un barreur serait épuisé en moins de deux heures. La fréquence de la houle est de 8 secondes environ, si une vague déferlante nous entraine au lof, le pilote a juste le temps dans le creux de redresser Ramatoa de façon à ce qu'il présente correctement son arrière à la vague suivante.
Samedi matin, le spectacle est impressionnant, l'océan est strié d'écume, les déferlantes d'eau translucide dans le soleil. Ramatoa marche très fort à 8-9 noeuds de moyenne, il part régulièrement en surf à plus de 12-13 nœuds sur un tapis de mousse écumante.
Alors que je manœuvre avec Dominique sur la plage avant, une déferlante inonde la jupe arrière. J'entends un sifflement sur notre arrière et je découvre avec stupéfaction notre radeau de survie en train de se gonfler à quelques mètres de Ramatoa. Retour dans le cockpit, mais il est impossible de faire quoique ce soit, remorqué à plus de 9 nœuds le bout du radeau casse et, disparaît à l'horizon avec son feu clignotant sur l'arceau de la tente. En réalité l'eau de la vague a soulevé violemment le container du radeau, ce qui a arraché le couvercle du coffre et a extrait le radeau de son logement.
Aussitôt nous contactons sur le canal 16 le cargo que nous croisons pour qu'il ne s'inquiète pas s'il voit notre radeau vide à la dérive. Ensuite par mail nous prévenons le CROSS Antilles-Guyane de la perte de notre survie, ils feront le nécessaire pour alerter les MRCC du Vénézuela, de Colombie et de Curaçao.
A la vacation BLU du matin, je raconte notre avarie et nous décidons avec OpSIS de nous contacter toutes les deux heures, ils sont à quelques 45 milles en avance sur nous, hors de portée de VHF. OpSIS et Ramatoa font le dos rond et laissent passer le plus fort du mauvais temps.
La nuit du samedi au dimanche et la journée du dimanche voient passer le plus fort du coup de vent. Le vent de nord-est est installé à 35 nœuds, les rafales atteignent plus de 45 nœuds, la mer très creuse atteint plus de 5 mètres.
Pour Ramatoa c'est un baptême du feu, pour son équipage aussi car même si nous avions déjà rencontré des vents et des mers fortes, cela n'avait duré que quelques heures alors que cette fois le mauvais temps est installé pour plus de quatre jours. Contrepartie des ces conditions difficiles, nos moyennes sont excellentes : 174, 181 et 160 milles nautiques par 24 heures. Régulièrement nous grignotons un peu de l'avance d'OpSIS qui volontairement reste sous grand-voile seule pour nous attendre.
La fatigue se fait sentir à bord car il est difficile de se reposer et de dormir, le bruit est incessant et le bateau secoué violemment quand il part au lof sous l'effet d'une vague plus vicieuse. Nous mangeons chaud à tous les repas, Annick et Dominique se relaient aux fourneaux. Personne ne souffre du mal de mer.
Pour ma part, je n'ai pas eu réellement peur car j'ai constaté très vite l'excellent comportement du bateau dans cette mer très forte, à aucun moment je ne me suis senti en danger. Mais par contre j'ai ressenti un fort stress et une inquiétude permanente. Stress d'une avarie majeure (panne pilote, voile déchirée, bris de tangon etc...) car dans de telles conditions de mer la situation peut devenir rapidement critique. Je garderai longtemps les images de ces vagues gigantesques qui soulevaient l'arrière de Ramatoa et les longues glissades à plus de 13 nœuds dans l'écume de la pente descendante de la vague où Ramatoa est parfaitement stable comme sur des rails avec un pilote qui ne travaille pratiquement pas, mais ce fragile équilibre est régulièrement rompu à intervalle régulier par une vague qui déclenche un départ au lof vite corrigé par Hercules et par le bout de génois (une douzaine de m² au maximum tangonnée en ciseau). Pour les quarts de nuit, je passe pas mal de temps à la table à carte (harnaché prêt à sortir dehors si nécessaire) à lire un roman avec l'AIS en fonctionnement et un tour d'horizon tous les quart d'heure. Jean-Pierre, Annick & Dominique par contre préfèrent passer leurs quarts dans le cockpit.
Dans la nuit de dimanche à lundi et toute la journée de lundi les conditions vont progressivement s'améliorer, le vent faiblit à 25-30 nœuds puis à 20-25 nœuds mais la houle reste forte (4 mètres) même si la mer est moins chaotique. Le génois est un peu déroulé pour conserver une bonne vitesse.
Le trafic s'intensifie, nous croisons et nous faisons dépasser par un grand nombre de cargos, de tankers et de gigantesques portes containers. Le récepteur AIS est alors bien utile pour lever le doute de la route de ces mastodontes qui déboulent pour certain à 18 ou 20 nœuds. A moins de dix milles nautiques d 'OpSIS nous avons enfin le contact en VHF.
Finalement la nuit de lundi sera notre dernière nuit en mer car au petit jour nous longeons la côte du Panama et approchons de Colon, l'entrée, coté Atlantique, du canal de Panama. Le trafic est incessant, plus de 20 navires au mouillage devant les deux immenses digues abri qui ferme la rade devant le port de Colon. L'AIS associé à la carto MaxSea permet de suivre plus d'une quarantaine de cibles sur la zone !
A 8h35 le mardi matin, nous nous glissons derrière la digue de la rade de Colon dans le sillage du gigantesque porte-container « Blue Whale » de la compagnie CMA-CGM qui se dirige vers le terminal container de Cristobal (Cristobal & Colon : c'est la même ville !), nous retrouvons OpSIS qui nous a précédé d'une petite heure et nous dirigeons vers la marina de Shelter Bay. Nous sommes éprouvés, fatigués et heureux d'en avoir terminé de cette étape qui se révèle toujours être une étape difficile en hiver pour longer les côtes Colombiennes et rejoindre l'isthme de Panama. Nous avons parcouru 1181 milles nautiques en un peu moins de huit jours de traversée.
Nous apprécions le confort de cette marina fréquentée par des voiliers qui vont transiter par le canal ou qui en sortent s'ils viennent de la côte Pacifique. Après une bonne sieste, une bonne douche et un bon bain dans la piscine, nous voilà prêt à attaquer la liste de petits bricolos pour préparer le passage du canal : Contacter l'agent pour les formalités du canal et d'entrée dans le pays – Trouver un fournisseur pour faire l'acquisition d'un radeau de survie neuf (une très grosse dépense imprévue en perspective,dur dur pour notre budget !) - Sortir Ramatoa de l'eau pour lui donner un coup de propreté et une couche supplémentaire d'antifouling – Déclaration de sinistre aux assurances – Contact avec Alubat pour la réalisation d'un nouveau capot de coffre pour le radeau.. etc... etc...il y en a une page ½ sur le cahier !
Bref c'est la vie d'escale : donner de nos nouvelles, téléphoner aux enfants et aux parents, les lessives, les approvisionnements etc... Le mercredi après-midi, nous allons à Colon pour des courses au supermarché et pour acheter la survie, à cette occasion nous découvrons les écluses de Gatun car le bus de la marina qui nous emmène est bloqué à l'écluse le temps que le porte-container en sorte... bientôt cela sera notre tour. Dans le même créneau, Jean-Pierre était resté à bord pour accueillir le jaugeur de l 'ACP (Panama Canal Authority) fort désagréable mais qui nous délivre tout de même le précieux sésame le « Ship Identification Number »... sans lui pas de transit possible. Mais ne dévoilons pas la suite, nous devrions passer le canal en milieu de semaine prochaine soit une dizaine de jours après notre arrivée.
Avant de clore cet article, je tiens à souligner la solidarité et le soutien que nous ont apportés nos amis et les bateaux copains tout au cours de cette traversée. Tout d'abord Joseph & Isabelle d'OpSIS que nous avons un peu emmenés dans cette galère, toutes les deux heures échanger nos positions respectives et quelques « Josepheries » contribuaient au bon équilibre et à la bonne humeur sur nos deux bateaux. Enfin Claude & Sylvie de « Sandy II » en Martinique, Pierre & Béatrice de « Météore » en Guadeloupe ont toujours été présents lors de nos vacations BLU quotidiennes, ils nous ont soutenus et aidés, un très grand merci à eux quatre.
Dominique & Benoît, Annick & Jean-Pierre sur Ramatoa à Shelter Bay Marina le dimanche 15 mars 2009.